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Ma guérison

« Najoua, ma fille, merci pour ces belles années passées dans nos vies; tel était ton chemin… »

Quand, à six ans, on se forge une bedaine de maman.

Quand, à sept ans, on entend sa mère, assise au salon à boire du thé avec la voisine, supplier cette dernière de faire semblant que vous êtes la gardienne de son fils de huit mois.

Quand, à 23 ans, on se marie pour faire vite cinq enfants tellement on veut être mère.

Quand, à 26 ans, enfin le premier bébé s’annonce et qu’on le perd à huit mois de grossesse.

Le but d’avoir des enfants, n’est-ce pas de les regarder grandir, et non de les enterrer avant nous?

Un grand manque d’énergie et une petite bosse sur la cuisse m’incitent à forcer ma fille Najoua, alors âgée de 19 ans, à voir un médecin. La fatalité frappe sans aucun avertissement : un rhabdomyosarcome. En ce beau jour de septembre, le choc est si inattendu! Dans l’auto, personne ne parle. Moi, en cachette, je me donne des coups de poing au ventre en me disant : « Pourquoi vouloir des enfants? » La culpabilité en 5e vitesse!

Elle nous a quittés le temps d’une grossesse. Neuf mois entre la vie et la mort. Abominable! Voilà ce que j’ai ressenti à plusieurs reprises. Et pendant ces neuf mois, je l’ai accompagnée, impuissante, entre Hull, Sainte-Justine et Toronto. Impuissante, alors que je voulais crier aux médecins de faire mieux que mieux. Impuissante devant les faux espoirs qui font mal jusque dans les entrailles… Tellement impuissante devant ces maudites machines qui me la tuaient de toute manière. J’ai réalisé que, malgré toutes mes prières, je ne pouvais pas endosser la maladie de ma fille. Alors, je lui ai promis et je me suis promis d’être là pour elle.

Lors d’un court séjour à la maison, avec son fauteuil roulant, elle arrive dans la cuisine pour me dire : « Tu sais maman, je n’ai pas peur de mourir. C’est pour Joffrey et Gaël que je suis inquiète. » Je me jette à ses genoux et lui dis : « Non, non, Najoua, c’est trop tôt pour parler ainsi… » et je réalise que j’ai plus peur qu’elle. On communique par des silences qui en disent long ou par des encouragements, vrais ou faux ou faibles… On l’aime tant. Ça fait tellement mal que ça nous engourdit. Être là sans y être.

C’est le jour de la fête des Pères que ses souffrances se terminent enfin, à 20 ans. Comme j’ai de la grosse misère à regarder quelqu’un souffrir, je suis prête à la laisser partir… mais ça, on ne peut pas le dire; ce serait mal vu. Ses derniers mots furent pour son père. Appuyée contre lui, elle réussit à soulever son masque et à lui dire : « Papa, je t’aime. » Quel beau cadeau! Comme une automate, je tiens sa main qui reste chaude et lui offre un sentier de lumière en forme d’escalier recouvert de pétales de roses, je lui parle et j’exige que la musique d’Enya continue de jouer. J’invite la famille à prendre sa main encore chaude (moment de folie, je crois); ça fait tellement mal et ça soulage tellement que je pleure en dedans.

La semaine suivante, je veux absolument me reposer à la ferme de chèvres laitières dont je suis propriétaire avec mon conjoint. La fatigue, le questionnement, la rage et la tristesse tardent à partir. Je n’étais pas encore prête à comprendre que la souffrance de ma fille n’était pas la mienne. Mais je savais que je ne me nourrirais pas éternellement de tous ces « mal-aises ». Et ça non plus, on ne le dit pas…

Des chèvres à ma rescousse. Une amie me dit un jour : « Connecte-toi le plus souvent possible à tes chèvres; elles t’aideront. » Dès lors, j’ai redoublé d’attention envers elles, et elles ont quadruplé leur gratitude envers moi.

Pendant des mois, malgré la routine qui reprend sa forme, à chaque ombre qui passe devant les fenêtres, à chaque mouche ou abeille qui se pose sur ma main, je suis persuadée que c’est Najoua qui vient me parler.

Gênant, n’est-ce pas? Oui, tout cela passe. On se sent toujours coupable de ne plus y penser aussi souvent. Puis, ça passe davantage.

Cet automne-là, pure coïncidence, en sortant de la Caisse, je rencontre une connaissance qui m’offre ses sympathies et me quitte pour aller à son cours de yoga. Clic! Bon mot, bon moment et je suis rallumée. Quel yoga? Qui enseigne? Où? La semaine suivante, je commence à récupérer plus sérieusement. Enfin, pour moi, la porte d’entrée ou de sortie, c’est selon. Je pense bien que Najoua y est pour quelque chose. Elle m’a poussée dans les fesses pour me sortir de ma petite routine de tristesse. Grâce à elle, je me suis reconnectée à la vie spirituelle.

Un jour, j’entends Najoua me dire : « Maman, recommence donc à fabriquer du savon. » Le projet des Savons de l’Espoir est alors né. J’ai mis la main à la pâte et, depuis, je confectionne des savons au lait de chèvre. Une partie des profits de la vente est remise à Leucan Outaouais. C’est un bonheur et un honneur pour moi de fabriquer des savons haut de gamme tout en venant en aide aux familles ayant un enfant atteint de cancer. Les fonds sont utilisés uniquement pour donner du répit aux familles. C’est une matinée de plaisir et d’amour quand les grands-mamans viennent habiller les savons à grands coups de rires, de beaux échanges, de collations et de tasses de tisane.

Il n’y a pas de mots assez grands pour exprimer ma reconnaissance aux commerçants pour leur grande ouverture du cœur et les espaces tablettes pour ces petits savons ainsi qu’aux utilisateurs.

Alors, du fond de mon cœur au fond de votre cœur, je dépose un immense merci. Merci à Najoua, à vous tous et à la vie.

Ma guérison (témoignage)

Passer par le corps pour guérir l’âme

Sixième d’une famille de douze enfants, je n’ai pas eu droit aux attentions parentales… comme tous les autres. À neuf ans, à la suite d’un accident, j’ai été expédié deux fois à l’hôpital, les yeux bandés, sans explications, sommé de res­pec­ter la règle du « Tais-toi et souffre en silence ». Pas de caresses ni de réconfort au retour. Grand-maman m’a montré comment manipuler mon œil arti­ficiel, car maman refusait de me toucher.

À douze ans, mes parents m’envoient dans un collège privé tenu par des frères pour poursuivre mes études. Dès la première entrevue, le frère directeur a voulu voir mon prépuce et ce qu’il y avait dessous. Pendant deux ans, j’ai pu échapper aux prédateurs sexuels en fuyant constamment, mais ce ne fut pas possible au cours des deux années sub­sé­quentes­ durant lesquelles un autre frère direc­­teur, d’un autre collège, s’assoyait sur le bord de mon lit, passait sa main sous les couvertures pour me tripoter. C’est à ce moment que j’ai appris « à faire le mort », à ne manifester aucun sentiment, aucune émotion, car beaucoup de prédateurs délaissent leurs proies quand elles sont mortes.

C’est au cours de ces deux années que j’ai appris à contrôler mes émotions, ma douleur, mes réactions physiques et émotives, jusqu’à devenir hyper-contrôlant de moi-même, dans tous les aspects de ma vie, sans même m’en rendre compte.

La pédophilie laisse des traces indélébiles marquées au fer rouge. Même si on ne veut pas regarder les plaies, on est forcé d’en sentir la chair brûlée.

L’an dernier, je suis ressorti de l’urgence avec un cancer de la prostate et de nombreuses métas­tases osseuses. Le Lupron m’a rendu impuissant, sans sperme, sans testostérone, sans libido, sans mes repères masculins habituels, avec des idées suicidaires, de l’ostéoporose grandissante et une multitude d’effets secondaires féminisants dégoûtants.

Après deux mois de dépression profonde, j’ai consulté une psychologue qui m’aide à m’en sortir. Je la rencontre aux deux semaines depuis huit mois. Une sexologue me soutient aussi pour gérer ma sexualité complètement détraquée.

Depuis l’automne dernier, je m’ouvre à mes filles et à mes proches. Il m’aura fallu 55 années pour me libérer de la pédophilie. Ce tripotage sexuel de mon adolescence me restait collé au fond de l’âme comme une croûte brûlée s’incruste au fond de la poêle sans décoller.

Il y a deux mois, sur un coup de tête, j’ai appelé une massothérapeute pour lui expliquer « mon cas ». Je ne voulais pas être massé pour soulager un muscle endolori ou une articula­tion coincée, mais pour qu’elle passe­ par mon corps pour rejoindre mon âme. C’est en me pressant très vigoureusement le dos, en me compressant comme un gros tube pour en faire ressortir la pâte malsaine, qu’elle a fait sortir de ma psyché les gestes pédophiles de mon adolescence. Depuis longtemps, j’étais convaincu que seuls des touchers sains pouvaient neutraliser, voire effacer, définitivement le souvenir de touchers malsains.

Soudain, le petit garçon devenu borgne n’était plus abandonné et rejeté. On l’accueillait en petit héros avec son œil de pirate, enlacé par les bras de sa maman en pleurant de joie, les cheveux brossés par la main de son papa. Et encore plus loin, j’étais devenu un gros bébé naissant. Pas seul dans son berceau, mais soulevé par des mains « maternantes », réchauffé par la chaleur d’un sein, bercé par le rythme d’un cœur, ébahi par le sourire d’une maman et embrassé comme seules les mères savent le faire.

L’automne dernier, à 67 ans, pour la première fois de ma vie, j’ai enserré vigoureusement dans mes bras quel­ques­-uns de mes frères. J’ai même osé leur dire « Je t’aime ». Des gestes impossibles à poser, et une attitude impensable à imaginer, il y a de cela à peine un an. Aujourd’hui, « ici et maintenant », j’erre à la recherche d’une nouvelle compagne de vie. Je veux être son Loup dans la fourrure duquel elle pourra se lover. J’espère découvrir une autre Petite Rudbeckie dont je m’enivrerai du parfum et caresserai les pétales.
LL