Le dialogue du djembé

Je regarde les aiguilles de l’horloge… Dix-huit heures trente-cinq. Je suis sur scène, prêt à entamer le cours de percussions africaines à l’école Samajam. Autour de moi, un capharnaüm sonore retentit… Les quelque quatre-vingts étudiants positionnent leur djembé, et se mettent à frapper la peau, parfois avec grâce, parfois avec violence, mais toujours avec le désir ardent de produire un maximum de son possible. J’éprouve toujours un vif plaisir à scruter la scène qui s’offre devant moi. De la plate-forme surélevée, c’est quasi surréaliste de voir comment l’humain, dans un contexte précis, renoue avec la bête en lui.

Il faut cependant ramener cette « meute » à l’ordre afin de réussir à faire parler le djembé, et non pas laisser planer la cacophonie actuelle. Mais, les gens ont l’air d’être tellement dans leur élément, que je pourrais disparaître de la pièce pendant une heure complète, revenir et rien n’aurait changé… Phénomène fascinant où le temps n’a plus aucune importance.

Un des aspects les plus fascinants et les plus intéressants de la percussion africaine, c’est le sentiment d’appartenance à un groupe, à un clan. Bien sûr, le djembé tire ses racines de cette observation. Le rythme n’existe que parce que plusieurs djembéistes le créent. Chacun y va de sa contribution, chacun joue son propre accompagnement, et les notes s’imbriquent les unes dans les autres comme si elles ne formaient qu’un tout cohérent et vraiment mélodieux à l’oreille.

Par contre, cette simple mise en commun de capacités musicales va beaucoup plus loin. Le djembé apporte beaucoup plus que le simple fait de garnir notre existence avec des notes de musique. Outre le fait d’être extrêmement libérateur en faisant relâcher la tension intérieure (qui n’a jamais voulu frapper sur quelque chose pour se défouler), il permet de pouvoir entrer en contact avec son prochain, de reconnecter complètement avec la fameuse « bête sociale » qui sommeille en nous. C’est une courroie de rapprochement qui n’a pas son pareil, qui permet de vivre des activités sociales primordiales et de vivre des expériences de groupe inoubliables.

Le djembé permet de rencontrer des gens qui autrement seraient passés complètement inaperçus. Il fait tomber les masques sociaux. Le réseau social s’enrichit donc de personnes qui exercent des métiers différents, qui ont des pensées et des mentalités complètement différentes de soi-même, qui ont un train de vie qu’on n’oserait même pas imaginer. Mais, une passion, un intérêt et un désir commun nous habite tous, celui de renouer avec l’esprit de groupe, de clan. C’est un besoin fondamental de l’être humain. Et cela est rendu possible grâce au djembé.

Dix-huit heures trente-sept et cinquante secondes… cinquante-quatre… cinquante-sept… Dix-huit heures trente-huit. C’est à ce moment que je frappe à mon tour sur mon tambour, juché sur son support, les sons crevant les multiples bulles qui se sont formées durant le dernier quart d’heure. Les roulements, les tapes, les chauffés se succèdent de plus en plus vite, je laisse mes mains parler, puis, j’effectue l’appel classique des rythmes (pra-pi-pi-pi-pipi-papapa!) et… Plus rien… Malaise… Déstabilisation… Les peaux se taisent, les gens se tournent dans ma direction, et c’est ainsi que démarre une autre soirée de percussions inoubliable à l’école Samajam, où les bouches se ferment afin que les djembés puissent enfin se mettre à parler…

Incroyable et fascinant de voir qu’un simple morceau de tronc d’arbre recouvert d’une peau de chèvre peut avoir autant d’impact…

Les joies du djembé 

J’ai tout de suite adoré taper sur une peau avec mes mains nues et m’amuser à jouer des séquences répétitives. Ça me rappelait un peu la jonglerie, mais vers le bas. Si le mot djembé ne vous dit rien, c’est parce que le djembé est communément  appelé tamtam. C’est un instrument de percussion africain composé d’un fût de bois en forme de calice sur lequel est montée une peau de chèvre tendue. J’ai commencé à en jouer par curiosité, mais mon intérêt a augmenté avec les années. Le djembé continue à me fasciner après 14 ans de pratique, et voici pourquoi.

Le djembé vient de l’Afrique de l’Ouest, région où la culture musicale est très riche. Les rythmes du djembé sont joués pour toutes les occasions :­ mariages, fêtes religieuses, moisson, etc.… Ils sont donc joués dans le but de réunir les gens, de célébrer et de danser. Je suis allée en Guinée (Afrique de l’Ouest) à plu­si­eurs reprises pour connaître cette culture fascinante et, à mon retour, je faisais partager mes découvertes. Au départ, j’enseignais pour transmettre ma passion, mais j’ai réalisé que le djembé était un moyen idéal pour se développer sur plusieurs plans tout en étant une expérience amusante, pleine de sensations.

L’apprentissage du djembé favorise la latéralisation. Les séquences rythmiques nécessitent de porter une attention égale aux deux mains. Les deux côtés exigent la même force et le même type de précision. Les deux hémisphères du cerveau sont sollicités également. Il est étonnant­ de voir combien de personnes n’ont d’attention que pour leur main dominante. C’est souvent le premier apprentissage qu’elles font : intégrer la main non dominante dans leur zone d’attention.

Apprendre des séquences rythmiques et jouer des polyrythmes demandent une attention différente. Les participants jouent ensemble tout en jouant des séquences différentes. Le rythme apparaît lorsque toutes les séquences sont jouées simulta­nément. Les participants doivent donc être à l’écoute des autres tout en jouant leur propre partie. C’est souvent un défi, mais ô combien récompensé lorsque bien exécuté!

La pratique du djembé est un bon moyen pour créer une énergie positive et réduire le stress. Dans un groupe de djembé, tous les participants sont valorisés, car l’accent est mis sur l’ensemble plutôt que sur la performance individuelle. Les séquences peuvent être simplifiées en fonction du niveau des participants pour leur permettre d’avoir du plaisir. Les participants se trouvent rapidement en situation de réussite, mais les défis et les objectifs sont sans fin. Les séquences rythmiques sont courtes et répétitives. On cherche à mieux les exécuter et à réussir les enchaînements entre les différen­tes parties. La motivation va en grandissant, car les deux sentiments (réussite et défi) se nourrissent mutuellement. Plus on joue vite et mieux on joue, plus on a un sentiment d’euphorie assez exceptionnel. On a du plaisir, on rit beaucoup, on se défoule et on se détend. Les gens me disent souvent : « Quand je suis arrivé, j’étais stressé de ma journée, mais maintenant je suis tout énergisé et de bonne humeur. J’ai bien fait de venir ».

Comme c’est une activité à la fois artistique et technique, plusieurs zones cérébrales sont stimulées à la fois. Beaucoup de connections se font. J’ai des étudiants âgés ou qui ont subi une commotion cérébrale et qui ont perdu des fonctions telles que la concentration, la mémoire et l’équilibre. La pratique du djembé les aide. Je travaille aussi avec des enfants dysphasiques et je visite des groupes de femmes victimes de violence sexuelle. Ai-je besoin  de dire que ça leur fait du bien?

En fait, toutes les clientèles en bénéficient. Jouer du djembé est une activité complète qui répond à plusieurs besoins physiques, psychologiques et sociaux. C’est une découverte formidable que je ne me lasse pas de faire partager! Ceux qui aiment le djembé en deviennent dépendants! Aurez-vous la fièvre du djembé, vous aussi?