Ma voix intérieure

Les traditions de tout temps se sont servies de la musique et du chant, pour prier et se relier.

Malheureusement, en Occident, il est de plus en plus rare que l’on se serve de la voix pour prier.

La musique est devenue un outil de vente. Elle est utilisée partout sans même que l’on n’en soit conscient. Films, radio, publicités, propagande, etc. en sont remplis et nous influencent bien souvent à notre insu.

De plus, notre capacité d’écoute est très limitée et il ne nous faut que quelques secondes pour juger de ce que nous recevons avant de changer de canal.

Savons-nous écouter?
En fait, nous n’écoutons vraiment que rarement. Nous ne tendons l’oreille que de temps en temps, lorsque nous le sommes trop, nous nous bouchons les oreilles pour ne pas entendre. Combien de fois ai-je dit ou entendu dire « Tu ne m’écoutes pas! ». Ne pas être entendu est ainsi une de nos grandes blessures.

Et parmi les voix qui crient pour être entendues, il y a celle de notre enfant blessé qui cherche un chemin pour s’exprimer. Dans ce tumulte extérieur et intérieur, comment faire pour retrouver sa route vers une plus grande écoute de soi et de l’autre et une plus grande sérénité?

J’ai hurlé puis chanté pour qu’on m’entende.

Toute jeune déjà, j’ai cherché de toutes mes forces à être écoutée et entendue, vraiment, pour trouver la paix intérieure.

C’est ainsi que je me suis mise à chanter. J’avais une jolie voix et une grande sensibilité et c’était là un outil plus acceptable que de crier pour me faire entendre. Ce qui d’ailleurs était inefficace.

À vingt ans, étudiante en chant dans un conservatoire de musique, j’appris donc à chanter d’abord pour plaire et pour m’exprimer.

Malheureusement, ce que je voulais vraiment dire tels mes anxiétés face à l’avenir, mes besoins, mes appels à l’aide n’étaient toujours pas entendus. Mes émotions se transformaient en gros nœud dans ma gorge. Je ne parvenais plus à chanter et cela augmentait mon anxiété.

Le chant, outil de guérison
J’eus cependant l’intuition que je pouvais me servir du pouvoir vibratoire du chant pour libérer mes émotions. Et c’est ainsi qu’au lieu d’être au service de la musique et de chercher à faire des sons parfaits, j’appris à m’en servir comme outil de guérison. Le son est devenu un baume rempli d’amour m’enveloppant de sa douce chaleur.

J’en découvris les bienfaits, non seulement sur le corps, mais aussi sur l’esprit.

Tendre une oreille tendre pour s’entendre.

Aujourd’hui, je suis persuadée que d’avoir appris à chanter, m’a également appris à écouter.

Le chant me permet dans un premier temps de tendre l’oreille vers moi, de laisser sortir, d’évacuer le trop-plein et tant pis si cela me fait pleurer, je suis assez grande et aimante envers moi pour accueillir ce qui remonte. Quelle libération!

Mais c’est aussi une manière de méditer. Par le chant, je calme mon esprit, je respire, je me laisse habiter par le son comme un temple qui résonne de l’intérieur.

D’une certaine façon, j’occupe mon mental à autre chose que les petits tracas quotidiens et j’entre dans une forme de transe apaisante.

C’est ainsi que tout en chantant, je fais paradoxalement silence et j’ouvre la porte à d’autres voix plus centrées, plus justes.

Écouter le silence
En fait, je crois qu’il existe un son primordial à l’origine de tous les sons. Un son qui contient toute la gamme des émotions, toutes les notes de musique, tous les sons contenus dans le monde audible et inaudible. En faisant silence, je peux l’entendre. Il est subtil et rejoint la vibration de l’essence de l’univers.

C’est ainsi que lorsque je chante, je peux, si je suis attentive, percevoir que chaque son possède un centre énergétique auquel je peux me connecter pour rejoindre l’infini.

Il n’est pas nécessaire pour cela de me mettre absolument en position de lotus et de fermer les yeux. Non pas que ce ne soit pas bon, mais ce n’est pas indispensable.

Ainsi, n’importe quelle chanson qui me rejoint peut faire l’affaire, du moment que je me mets dans une attitude d’écoute sans jugement. J’ouvre mon cœur et mes oreilles et je laisse la musique faire son œuvre en moi et me guider.

Je crois que c’est cette pratique qui m’a permis d’être aujourd’hui une personne qui écoute son intuition et qui sait dialoguer avec sa voix intérieure. Le chant m’apprit à ouvrir mes oreilles et à percevoir les subtilités des informations que mon corps m’envoie sous forme de sensations.

Et si d’aventure le doute s’installe et le brouhaha reprend toute la place, je m’applique à me recentrer, soit en chantant, soit en respirant toujours en recherchant ce lien avec le son primordial pour retrouver le contact avec ma voix intérieure.

Partager avec d’autres cette voie royale vers soi
Enseignant le chant depuis bientôt vingt ans, mon conjoint et moi avons compris à quel point cette approche douce et aimante basée sur la personne a pu permettre à de nombreux élèves d’être plus à l’écoute d’eux-mêmes, de devenir davantage centrés dans leur cœur, de redonner sens à leur vie et de s’épanouir par la musique.

La voix, un phénomène surtout affectif?

De tout temps, la voix accompagne les rituels des différentes cultures et régions du globe : chant grégorien, mantras, chants de guérison des chamans, yoga, prières, etc. Rien de surprenant… la voix est un phénomène si naturel! L’homme semble avoir su d’instinct qu’elle le relie à son âme et au divin. Mais qu’en est-il du fait que la voix soit un phénomène surtout affectif?

Imaginez une roche qu’on jette à l’eau. Vous voyez des cercles concentriques qui s’étalent jusqu’à disparaître.

Le son est une onde vibratoire qui résonne et s’amplifie selon des lois similaires. Son destin est de se propager dans l’espace et de s’épanouir. Avec un peu d’attention, on peut entendre si la voix se diffuse librement ou si elle reste étouffée.

Bien qu’elle soit une réalité volatile, intangible, notre voix n’est pas déconnectée de ce que nous sommes, de ce que nous portons en nous comme expériences de vie. Comment faire pour être à l’aise lorsque je lui parle? Pourquoi ma voix est-elle coincée dans ma gorge quand je chante plus fort? Comment faire pour aimer ma voix? Nos émotions, ce que nous ressentons dans notre corps – ou ce que nous ne ressentons pas – a un lien intime avec la nature et la qualité de notre voix.

La voix ouvre sur le monde de l’émotion et de la relation
Toute personne qui parle, ou chante, peut se retrouver confrontée à des questions semblables puisque parler ou chanter nous place dans un contexte où nous avons à nous « produire devant », à révéler quelque chose de nous. Ce faisant, toutes sortes de sensations et d’émotions se réveillent en présence de l’autre personne. La gêne, la pudeur peuvent représenter un frein important. N’est-il pas plus facile de chanter seul dans son bain? Et le corps se souvient, en deçà de la cons­cience, d’interdits ou de semonces du genre : « Baisse le ton! », « Cesse de crier! », « Pas si fort! » Dans ce contexte, le phénomène qui se produit est davantage d’ordre relationnel. La voix est « gardée » à l’intérieur, retenue, la semonce toujours vivante, inscrite dans le matériau corporel et dans l’inconscient.

Pour différentes raisons, il s’avère que le corps s’organise – avec le concours des muscles, tendons et compagnie – pour retenir le son, inhiber l’expression et, ultimement, enfermer l’individu dans une solitude parfois difficile à supporter et génératrice de maux divers.

Tout en étant un instrument musical et de communication qui peut se travailler, se peaufiner, la voix est fondamentallement relationnelle.

Et quelle aventure que d’explorer ses fondements, son assise (le souffle) et sa résonnance! Partir à la décou­verte de l’univers intérieur qui s’est construit en interaction avec l’environnement de l’enfance, c’est reprendre possession de soi, de ses moyens, de son héritage. Ce qui était enfoui dans l’oubli renaît, se met à vivre dans le cadre d’une relation. Pour certains, chanter délie la langue, met des mots dans la bouche pour la première fois, « débloque » le canal d’expression.

Au moyen du dialogue et du par­tage, les sensations et émotions s’intègrent comme points de repère. La détente que procure un souffle profondément ancré dans l’être est aussi émotionnelle que psychique. Une place se fait dans le corps et se répercute dans le rapport entretenu avec autrui et avec le monde. De plus, acquérir cette capacité d’intériorisation et d’expression mène sur le chemin de ce qu’est réellement l’intimité tant recherchée.