Photo 101 : Histoire de perceptions

Y a-t-il un sujet que vous n’aimeriez pas prendre en photo ou peindre? Une fleur ou une plante que vous ne voudriez pas dans votre jardin? Une personne que vous ne voudriez pas dans votre cercle d’amis(es)?

J’ai une anecdote à vous raconter. C’est au jour 215 de mon Défi photo 365 qu’elle s’est produite : Chez le fleuriste, qui est-ce qui a dit que c’était laid des œillets? MOI! Ici! MOI-moi! Depuis aussi longtemps que je me souvienne, malgré ma grande passion pour les fleurs, j’ai toujours trouvé les œillets affreusement moches. Je disais à mes « chums » : « Tout sauf des œillets! » Ils sont associés aux cimetières, aux services funèbres, aux restaurants à petits budgets; ce sont des fleurs bon marché, aux couleurs douteuses, bon… avouons simplement que des œillets, c’est « cheapette »! Eh bien, c’est ce midi-là, devant le présentoir de fleurs, que je les ai regardés. Je les ai regardés pour vrai, je les ai regardés droit dans les yeux. Un ou deux froncements de sourcils, je bouge la tête… petit air qui frôle le dégoût. Je cherchais le « trouble », comme on dit. Je pensais alors y trouver un peu de honte ou de pitié, mais à ma surprise, les œillets étaient plutôt fiers. Les têtes hautes. Tiges bien droites. Chevelure frisée au vent. Hmmm… 7 $ en vente pour un gros bouquet d’œillets… À ce prix-là, de quoi pouvaient-ils être si fiers? De leurs bicouleurs « mixées » artificiellement, de leurs feuilles en pointe de flèche, de leurs pétales passés de mode?

C’est là que j’ai appuyé sur « pause », j’ai observé la scène une seconde, j’ai pris conscience de mes voix intérieures du moment : Ah? J’ai visiblement un gros préjugé contre les œillets! Qui a décidé que c’était si laid, cette fleur? Qui suis-je pour juger ces fleurs? Après quelques ricanements avec moi-même dans le magasin, j’ai bien compris que je jugeais l’association que j’avais moi-même liée à ces fleurs : « Les œillets, c’est quétaine, c’est cheap et ce sont des fleurs de cimetière! » Ma perception. Mes références. Mes jugements secrets. J’ai regardé encore une fois les bouquets devant moi. Calmement. Les fleurs en tant que telles, elles sont normales, ni plus belles ou plus moches que d’autres. Ce sont simplement, des fleurs… dans le fond! Sur cette réalisation du moment, j’en ai pris deux gros bouquets et je les ai photographiés. J’ai apprivoisé ces mal-aimées, avec leur unicité. J’ai même appris qu’elles sentaient particulièrement bon et qu’elles restaient fraîches très longtemps. Je les avais ignorés depuis tellement d’années, comment aurais-je pu le savoir!?

Si ce défi d’une photo par jour pendant un an a quelque chose à m’apprendre, c’est bien d’aller au-delà des mécanismes. Comme photographe, on s’arrête souvent aux mêmes sujets. On élimine des thèmes, des idées, des options, des modèles, des catégories. Souvent par préférence, par intérêt, par préjugé caché, par confort, par facilité ou pour plein d’autres raisons. On finit par vivre dans un tout petit « enclos » de thèmes, enchaînés dans des conforts et des automatismes. Et notre vision rétrécit.

Tout cela fait penser à la vie. À la naissance, nos yeux sont purs et libres d’association, mais un jour, pour se protéger, on ajoute un filtre, puis deux, puis trois… On traîne avec nous ces couches de jugements et de références, on en oublie même souvent les raisons! Parfois, nos pensées automatiques sont omniprésentes, elles finissent par nous fermer des portes. Quand je vois tel ou tel truc, je pense à telle ou telle affaire. Quand je rencontre telle personne, je l’associe à telle qualité ou à tel défaut. Quand j’entends telle musique, je l’associe à tel souvenir. Suis-je la seule à souvent oublier de me laisser surprendre, de changer de lunettes sur la vie de temps en temps? Ce n’est pas facile, mais ce serait peut-être l’heure de faire un petit « reset » personnel!

« Lorsque je suis attentif et ouvert à la vie, je suis à même de la réinterpréter à chaque instant. » – Deepak Chopra

Si nous faisions un exercice « live », en ce moment? De l’endroit où vous lisez cet article, regardez à votre gauche, juste à côté de vous, que voyez-vous? Un bureau, votre chien, une plante, un collègue? Comment le qualifiez-vous normalement? Et si pour l’instant d’une seconde, vous vous laissiez surprendre en lui donnant des qualificatifs auxquels vous n’avez jamais pensés auparavant? Une autre fonction ou utilité? Une autre façon de le décrire, avec des mots et des associations inhabituels.

Des découvertes? Vous découvrirez peut-être que l’œil droit de votre chien a une petite brillance particulière! Que le collègue conservateur a une mèche de cheveux bleue, cachée sous son col de veston! Que la plante a des feuilles pleines de veines interconnectées, qui ressemblent à des canaux de Venise! Quand on dissocie nos jugements et qu’on enlève nos filtres, l’émerveillement spontané est à notre porte. Tout apparaît. Il y a un monde caché et hallucinant, juste à côté de nous. S’arrêter, regarder, accorder du temps et de la valeur à ce qui se trouve dans notre environnement. En ce moment précis. Avez-vous vu?

En terminant, je vous laisse une citation qui a retenu mon attention. Elle est tirée du magnifique livre « Les messages cachés de l’eau », dans lequel l’auteur Masaru Emoto cite le Dr Sheldrake.

« C’est pourquoi je voudrais espérer que nous soyons en permanence conscients […] et fassions toujours attention à ceux qui nous entourent et aux choses qui se passent autour de nous. C’est essentiel. Parce que l’acte de regarder quelque chose a un effet sur cette chose. »

Voir sans filtre, jugement ou association, même pour quelques secondes seulement, est une façon de se connecter au présent. Je ne sais pas pour vous, mais dans mon cas, c’est souvent un gage de bonheur. Je ne me soucie pas de ce que j’ai dit ce matin à ma mère ou de la facture que je paierai ce soir. Je suis dans le présent. Je regarde. Je regarde attentivement. Je me connecte à ce que je regarde. Une seconde. J’apprécie.

Pour la rentrée, on peut se poser les questions suivantes : Quels sont les œillets de ma vie? Y a-t-il des objets ou des gens de mon entourage qui sont mal-aimés ou jugés pour des raisons farfelues ou désuètes? Ai-je toujours besoin de ces associations ou puis-je maintenant m’en défaire? Serait-ce maintenant le temps de faire un « reset » de toutes ces équations automatiques pour mieux voir?

Déjouer ses associations. Déjouer ses références. Questionner ses mécanismes dans le conscient.

Changer la cassette de ses pensées automatiques. Apprécier ces œillets pour ce qu’ils sont, car tout est finalement, une histoire de perceptions! Bonne rentrée!

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