Deux embryons avaient décidé de se séparer 3 jours après qu’un ovule de leur mère fut séduit par un spermatozoïde de leur père. Au début du chemin, dans la trompe de l’utérus, ils avaient habité le même œuf pour ensuite choisir de se diviser en deux afin de continuer cette aventure humaine.
Deux individus accrochés au même bout de gras, mais qui auraient chacun un chez-soi.
À ce stade de développement, ils avaient opté pour un placenta commun et deux poches amniotiques. Le placenta représente ce qui nous ancre au ventre de notre mère, une sorte d’attache terrestre nourricière à travers laquelle se font tous les échanges vasculaires. La poche des eaux qui contient le liquide amniotique nous rappelle le ciel, comme dans un espace sidéral aquatique dans lequel nous flottons pour nous protéger des variations de température et des chocs. Ces deux fœtus avaient préféré avoir le même fournisseur d’énergie, mais chacun leur piscine!
Une fois sur trois, cela se passe ainsi dans les grossesses gémellaires. Les deux embryons tout heureux s’amusaient à découvrir la vie subaquatique en se faisant de belles mimiques. Ils buvaient spontanément l’eau de cette piscine originelle, dans laquelle ils urinaient, pratiquant ainsi l’Amaroli comme une urinothérapie instinctive. En voyant leur sourire béat, on imaginait qu’ils avaient déjà beaucoup de plaisir à faire pipi dans l’eau!
Toute la famille faisait des yeux ronds devant l’échographie où deux cœurs bien distincts battaient déjà au petit matin de leur vie.
Deux jumeaux transfuseur-transfusé
Le ventre de la maman s’arrondit avec le temps sans qu’elle ne se doute de ce qui se passait dedans. Un étrange réseau de vaisseaux se développait sur le placenta qui les reliait à leur mère, telle une toile vasculaire dans laquelle la circulation se fit à sens unique, d’un embryon vers l’autre. Une sorte de perfusion automatique qui aboutit à un développement inégal des deux fœtus.
Un des jumeaux devint le transfuseur et dans ce rôle de donneur cessa de grossir. Sa piscine se vida au profit de l’autre et sa vessie ne se développa pas puisqu’il n’avait pas beaucoup d’eau à boire et donc peu de liquide à uriner. L’autre, le transfusé, reçu au contraire beaucoup de liquide et sa poche des eaux commença à gonfler, ce qui obligea sa vessie à devenir de plus en plus grosse pour évacuer toute cette eau.
Devant l’échographie, plus personne ne sourit, car il est évident que la vie ne pouvait durer ainsi. Les jumeaux transfusé-transfuseur réussirent à survivre grâce aux soins techniques de la médecine, mais personne ne pouvait expliquer pourquoi deux êtres si proches pouvaient se vampiriser de la sorte.
Devenus grands, les deux enfants reproduirent le comportement de leur survie utérine. Celui qui avait une belle vessie, prenait toute la place, et en urinant souvent, il marquait son territoire comme le fait le chat ou le chien de la voisine. Il savait ce qu’il voulait, affichait ses désirs au travers des marques vestimentaires ou des objets de décoration. À force de trop vouloir montrer qui il était, il faisait parfois de la rétention d’eau par fidélité à son programme in utero. L’autre, plutôt sec, avait un air chétif qu’il cachait à l’ombre de sa vie et ne semblait pas pouvoir jouer son rôle. Vu de l’extérieur, on ne pouvait imaginer que c’était en fait lui qui donnait sans cesse. Pourtant, c’est ce qu’il avait appris dans le ventre de sa mère.
Un jour, le jumeau plein d’eau mourut. L’autre tout sec, sentit tout à coup un vent nouveau, inexplicable, car il aurait dû au contraire, être effondré par la perte de cet être aimé. En fait, il se sentait revivre, comme si tout à coup cette transfusion inconsciente qui durait depuis si longtemps, venait de cesser pour le libérer de cet enchaînement. Les vases communicants n’avaient plus raison d’être, laissant le survivant dans un état de nouveau-né qui n’avait plus de problèmes d’eau.
Combien de couples de la vie peuvent se reconnaître dans ces échanges toxiques? Couple parental, amical ou marital, association professionnelle peuvent être vécus dans cette circulation à sens unique qui aboutit au vide de l’un et au trop-plein de l’autre. Ces mémoires d’eau du premier bain de mère sont inscrites en nous, parfois sous forme d’un jumeau que l’on s’invente, par nécessité d’avoir quelqu’un qui nous transfuse ou pour pallier à une incapacité de vivre sans l’autre. Cet autre peut être aussi un jumeau mort dans le ventre de la mère sans qu’on ne s’en rende compte.
Ceux qui prennent beaucoup de place en retenant beaucoup d’eau, survivent peut-être par transfusion inconsciente d’un être imaginaire ou réel qui se sacrifie pour eux! Une sorte de dépendance à l’eau…