D’entrée de jeu, je dois préciser quel contexte me permet de m’exprimer sur un sujet si délicat. Le suicide assisté. Le présent texte cite des interrogations et réflexions qui meublent ma conscience depuis plusieurs années.
Depuis plus de dix-neuf ans, je partage ma vie avec une compagne nommée la sclérose en plaques (SEP). Dix-neuf ans de lecture, recherche, essais, erreurs, alimentation végétarienne, suppléments vitaminiques à la fine pointe et un cheminement spirituel vivifiant.
Bien sûr que cette compagne m’a fait voir de mauvaises périodes, et ce, à répétition. Mais, ma gloire de cette prise en charge me permet de regarder d’en haut ces épisodes de moins en moins présents. Plusieurs amis un peu « jaloux » mentionnent que je fais preuve d’une prise en charge et d’un mérite hors du commun.
Y a-t-il vraiment mérite lorsque l’on prend soin de notre enveloppe corporelle?
Faire preuve d’une détermination sans borne, n’est-ce pas l’obligation de chacun?
Aucune réglementation ne m’oblige à sauver ma peau.
Nulle réglementation ne me punit si je traite mon corps tel un égout.
Nulle sentence ne m’est accordée lorsque je laisse une personne fumer sa petite cigarette, tout en sachant qu’elle représente un risque important de devancement de la mort.
Nulle sentence légale ne m’est infligée si je remets à la société les coûts de soins de santé dus au fait que j’ai traité mon corps avec disgrâce.
Nulle disgrâce ne m’est octroyée si par le fait de ma non-prise en charge de cette santé (maladie prévisible), je prends place dans un hôpital déjà en manque d’espace.
Situation se traduisant par le fait qu’un individu aux prises avec une maladie dégénérative doit attendre son tour.
Ma non prise en charge a des conséquences importantes sur la vie d’autrui.
Difficile de comprendre que je peux saboter ma santé, voire même celle d’autrui durant des décennies et que tout cadre dans le vil langage du choix de société.
Parlons-en de cette expression « choix de société »; le seul moment au cours duquel je fais ce choix, c’est le jour d’un scrutin.
Tous les autres choix décidés par les politicologues ou lobbyistes sont la résultante d’un courant.
Je m’interroge sérieusement sur le droit que l’on m’accorde le jour d’un scrutin en tant que citoyen. J’aurais lors de ces journées le droit de participer aux choix de la destinée d’une communauté. Étrangement, cette même journée, mon droit de décider de ma propre destinée ne m’appartient plus. Un paradoxe sur lequel une réflexion doit se faire!
Peut-être serait-il bon, pour bien comprendre mon propos, de voir ou revoir le reportage intitulé « Manon », reportage réalisé par M. Benoit Dutrizac.
Une autre suggestion serait de voir le film intitulé « Mer intérieure », réalisé par Alejandro Amenabar, film qui bouscule grandement nos émotions.
Tous les jours, nous avons le droit de faire des choix de vie ou de mort sur notre petite personne. Tous les jours lorsque je suis une personne en santé, j’ai tous ces droits. Lorsque je prends mon automobile, utilise le métro, traverse un viaduc, marche sur un lac gelé, je décide de vivre ou de mourir. Je décide à ce moment de vivre puisque je trouve un sens à la vie.
Difficile de comprendre que lorsque tous ces plaisirs me sont retirés, voire inaccessibles pour raison de santé, on me retire à ce moment le droit de décider que ma route a assez duré.
Difficile de comprendre que pour donner la vie, aucune règle n’interfère, aucun talent n’est requis, aucun mandat notarié ou évaluation psychologique ne sont requis. Pourtant, c’est selon moi la décision la plus importante d’une vie. Si pour avoir droit à ces allocations familiales, je devais participer à un cours de trente heures pour bien comprendre le rôle de parent. Ne serait-ce pas digne d’une société mature?
Difficile de comprendre que pour conduire une automobile, je dois suivre un cours et réussir un examen. Pour naviguer sur un lac dans une simple chaloupe motorisée, je dois aussi avoir suivi un cours et réussir un examen! Pour prendre place dans ma profession, je dois réussir des examens!
Ne devrait-on pas renforcer le démarrage à la vie et supporter l’apaisement en fin de vie?
Les opposants au suicide assisté ou à l’accompagnement vers une autre étape que tous nous vivrons un jour ou l’autre, font-ils un choix égoïste? Pour ces gens qui considèrent que toute vie est sacrée et que la souffrance est notre laissez-passer à la prochaine étape en première classe, je dis quel droit avez-vous de me retenir? Trouvez-vous plaisir à voir souffrir?
J’interpelle tous les opposants et je leur demande qu’ils me disent s’ils ont participé le 15 février 2002 à la marche (-20 C) contre la guerre en Irak. Je leur demande qu’ils m’expliquent pourquoi cette même journée il y avait foule encore plus importante au défilé de nuit (-25 C) du carnaval de Québec?
J’interpelle tous les opposants et je leur demande jusqu’où sont-ils prêts à aller concrètement pour sauver les centaines de milliers de personnes qui sont aux prises avec la famine. Il serait encore plus louable d’accueillir dans ma maison un ou deux enfants aux prises avec une destinée très peu enviable.
Voici une expérience intéressante à faire et qui ne coûte rien. Déposez un globe terrestre sur le sol, prenez place debout sur une chaise. Vous remarquerez que la terre est très petite et qu’il suffit de bouger légèrement son regard et l’on se retrouve maintenant à observer une zone où la famine est omniprésente. Il suffit d’un trajet de dix heures en avion et nous sommes dans un autre monde, où des gens qui veulent vivre meurent.
Est-il plus facile de faire un petit don monétaire et le tour est joué. Je suis une bonne personne.
Colère je ressens lorsque je vois des reportages qui dénombrent des milliers de décès dus aux infections postopératoires. Décès qui frappent des gens qui veulent vivre. Étrange paradoxe que le fait de subir une intervention nous confronte à des risques évitables. Ne devrait-on pas condamner les centres hospitaliers dont les infections postopératoires dépassent la norme pour une société évoluée? La norme ne devrait-elle pas être 0?
Pourquoi serait-il interdit d’aider une personne à traverser le boulevard de la vie une dernière fois de la façon dont elle l’a exprimée?
À toutes ces personnes qui s’opposent à mon libre choix, je demande : qui vous donne ce droit? Qui vous donne le droit de dire que le formulaire intitulé « Mon mandat en cas d’inaptitude » * que j’ai complété est invalide?
Qui vous donne ce droit d’exiger qu’une personne souffre jusqu’à son dernier battement de cœur?
Un autre paradoxe de notre culture tient au fait que si j’ai un cancer dont la souffrance est inhumaine, alors à ce moment j’aurai droit à des soins qui apaiseront mes douleurs. Soins qui du même coup me mèneront à mon dernier souffle.
L’objectif de cette réflexion est de faire en sorte que les tribunaux cessent de condamner des gens qui tout simplement assistent une personne qui décide que son parcours a assez duré. Parcours qui de toute façon, s’il continuait, ne serait semé que de souffrances.
En partageant ces réflexions, je souhaite que ceux qui décident de la législation fassent l’analyse en pensant à ceux qui souffrent.
Faut-il avoir regardé une personne qui s’éteint après d’importantes souffrances pour comprendre?
Aider une personne à passer à l’autre étape dans un état d’apaisement, n’est-ce pas le plus beau des derniers cadeaux!
* Brochure réalisée par Le Curateur public du Québec et disponible en librairie.